Gagner toujours plus ou vivre autrement ? de P. ARIES
J'ai co-organisé à Lyon un contre-Grenelle de l'environnement le 6 octobre, car nous ne voulions pas d'une union sacrée autour du président de la République sous prétexte de défense de l'environnement. Le Grenelle ne pouvait qu'être sarko-compatible, alors que le sarkozysme n'est pas écolo-compatible, comme le prouve son slogan :« Travailler plus pour gagner plus ». Cette idéologie du travail signifie toujours plus de production, donc toujours plus de pollution.
L'idéologie du « développement durable » peut être comprise de deux façons : pour Nicolas Hulot, elle est une façon de polluer un peu moins pour pouvoir polluer, plus longtemps ; pour d'autres comme Claude Allègre ou Laurence Parisot elle est une tentative de marier l'écologie et le capitalisme, bref, d'avoir en même temps la croissance et la survie de la planète. Ce «capitalisme vert» est une mascarade qui vise à faire payer la crise écologique aux plus pauvres. Cette idée d'un cercle vertueux entre croissance et écologie retarde les vraies décisions.
Nous ne pourrons pas en finir avec « la domination de tous sur la planète » sans en finir d'abord avec « la domination de quelques-uns sur tous les autres», c'est pourquoi la première décroissance que nous voulons est celle des inégalités sociales. On ne pourra aussi en finir avec cette « immondialisation» qui tue à la fois la Terre et les humains, que si nous apprenons à entretenir d'autres rapports au temps, à l'espace, à la nature et même à nos corps, à la vie.
Nous ne pourrons en finir avec le productivisme (de droite ou de gauche) que si nous apprenons à ralentir, c'est-à-dire si nous inventons des prothèses techniques et des rituels sociaux pour ralentir, comme le proposent Slow food et le Mouvement des villes lentes (Slow cities). Nous n'en finirons également avec la destruction de la planète que si nous acceptons de relocaliser nos activités, comme le proposent les AMAP et le fait de produire et de manger local. Il ne s'agit donc nullement de renvoyer dos à dos faibles et puissants, patrons et salariés, mais de réfléchir pour que nos revendications collectives n'entretiennent pas ce système qui nous détruit.
Plus de pouvoir d'achat ?
On ne peut, par exemple, poursuivre l'objectif de vivre demain tous comme de bons petits bourgeois : l'avenir n'est pas à la voiture climatisée pour tous, ni même à la civilisation de l'automobile. L'objectif d'obtenir plus de «pouvoir d'achat» est un vrai problème, mais un faux enjeu. Le capitalisme nous a appris à penser en terme de toujours plus, car il nous insécurise : nous faisons comme si la question fondamentale était celle du niveau de vie et non celle du style de vie. Accepter de « travailler plus pour gagner plus » est un jeu de dupes car l'augmentation sans fin des besoins fait que, là où le salaire d'un ouvrier suffisait hier à faire vivre toute sa famille, aujourd'hui, il faut les salaires des deux conjoints pour parvenir simplement à survivre. Nous ne devons pas chercher à imiter la vie des riches mais inventer d'autres genres de vie. C'est la seule possibilité pour concilier les contraintes environnementales avec notre souci de justice sociale. Cela ne peut se faire que par un retour au politique, c'est-à-dire en demandant aux citoyens de définir ce qui doit être (quasi)gratuit, parce que conforme à un bon usage social et environnemental, et ce qui doit être renchéri ou interdit parce que générateur de comportements inégalitaires.
Pourquoi payer son eau le même prix pour faire son ménage et remplir sa piscine privée ? Pourquoi payer au même tarif son électricité, son essence, ses transports, pour ce que la société considère être un bon usage et ce qu'elle considère, à un moment donné, être un mésusage ?
S'opposer au système actuel c'est donc d'abord à mes yeux prôner l'adoption d'un revenu universel inconditionnel qui doit nécessairement être accouplé à un revenu maximal autorisé.
Paul Ariès
Directeur du journal Le Sarkophage Auteur de La décroissance : un nouveau projet politique (Golias, 2007).
Publié dans le journal « L’Age de Faire » janvier 2008, (www.lagedefaire.org)
J'ai co-organisé à Lyon un contre-Grenelle de l'environnement le 6 octobre, car nous ne voulions pas d'une union sacrée autour du président de la République sous prétexte de défense de l'environnement. Le Grenelle ne pouvait qu'être sarko-compatible, alors que le sarkozysme n'est pas écolo-compatible, comme le prouve son slogan :« Travailler plus pour gagner plus ». Cette idéologie du travail signifie toujours plus de production, donc toujours plus de pollution.
L'idéologie du « développement durable » peut être comprise de deux façons : pour Nicolas Hulot, elle est une façon de polluer un peu moins pour pouvoir polluer, plus longtemps ; pour d'autres comme Claude Allègre ou Laurence Parisot elle est une tentative de marier l'écologie et le capitalisme, bref, d'avoir en même temps la croissance et la survie de la planète. Ce «capitalisme vert» est une mascarade qui vise à faire payer la crise écologique aux plus pauvres. Cette idée d'un cercle vertueux entre croissance et écologie retarde les vraies décisions.
Nous ne pourrons pas en finir avec « la domination de tous sur la planète » sans en finir d'abord avec « la domination de quelques-uns sur tous les autres», c'est pourquoi la première décroissance que nous voulons est celle des inégalités sociales. On ne pourra aussi en finir avec cette « immondialisation» qui tue à la fois la Terre et les humains, que si nous apprenons à entretenir d'autres rapports au temps, à l'espace, à la nature et même à nos corps, à la vie.
Nous ne pourrons en finir avec le productivisme (de droite ou de gauche) que si nous apprenons à ralentir, c'est-à-dire si nous inventons des prothèses techniques et des rituels sociaux pour ralentir, comme le proposent Slow food et le Mouvement des villes lentes (Slow cities). Nous n'en finirons également avec la destruction de la planète que si nous acceptons de relocaliser nos activités, comme le proposent les AMAP et le fait de produire et de manger local. Il ne s'agit donc nullement de renvoyer dos à dos faibles et puissants, patrons et salariés, mais de réfléchir pour que nos revendications collectives n'entretiennent pas ce système qui nous détruit.
Plus de pouvoir d'achat ?
On ne peut, par exemple, poursuivre l'objectif de vivre demain tous comme de bons petits bourgeois : l'avenir n'est pas à la voiture climatisée pour tous, ni même à la civilisation de l'automobile. L'objectif d'obtenir plus de «pouvoir d'achat» est un vrai problème, mais un faux enjeu. Le capitalisme nous a appris à penser en terme de toujours plus, car il nous insécurise : nous faisons comme si la question fondamentale était celle du niveau de vie et non celle du style de vie. Accepter de « travailler plus pour gagner plus » est un jeu de dupes car l'augmentation sans fin des besoins fait que, là où le salaire d'un ouvrier suffisait hier à faire vivre toute sa famille, aujourd'hui, il faut les salaires des deux conjoints pour parvenir simplement à survivre. Nous ne devons pas chercher à imiter la vie des riches mais inventer d'autres genres de vie. C'est la seule possibilité pour concilier les contraintes environnementales avec notre souci de justice sociale. Cela ne peut se faire que par un retour au politique, c'est-à-dire en demandant aux citoyens de définir ce qui doit être (quasi)gratuit, parce que conforme à un bon usage social et environnemental, et ce qui doit être renchéri ou interdit parce que générateur de comportements inégalitaires.
Pourquoi payer son eau le même prix pour faire son ménage et remplir sa piscine privée ? Pourquoi payer au même tarif son électricité, son essence, ses transports, pour ce que la société considère être un bon usage et ce qu'elle considère, à un moment donné, être un mésusage ?
S'opposer au système actuel c'est donc d'abord à mes yeux prôner l'adoption d'un revenu universel inconditionnel qui doit nécessairement être accouplé à un revenu maximal autorisé.
Paul Ariès
Directeur du journal Le Sarkophage Auteur de La décroissance : un nouveau projet politique (Golias, 2007).
Publié dans le journal « L’Age de Faire » janvier 2008, (www.lagedefaire.org)